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    Villa Marie Vassilieff
    Chemin de Montparnasse
    21 avenue du Maine

    75015 Paris
    +33.(0)1.43.25.88.32
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  • Ser, sin serlo - Patricia Belli

    Exposition du 20.09 au 14.12.2019
    Commissariat de Camille Chenais.

    Flyer de l’exposition, Ser, sin serlo

    La Villa Vassilieff est heu­reuse d’accueillir la toute pre­mière expo­si­tion en France de l’artiste Patricia Belli (1964, Nicaragua) dont la pra­ti­que artis­ti­que se déploie au tra­vers d’ins­tal­la­tions com­pre­nant sculp­tu­res, des­sins, ou encore vidéos. Pour cette expo­si­tion, l’artiste a choisi de réunir des oeu­vres issues de sa pro­duc­tion plus ancienne avec des nou­vel­les pro­duc­tions dans les­quel­les des sym­bo­les – issus de rêves et de mytho­lo­gies – évoquent un équilibre ins­ta­ble entre domi­na­tion et résis­tance, vio­lence, peur et com­pas­sion. Dans l’espace se déploient des corps frag­men­tées, sans carac­tère sexuel appa­rent, que l’on pour­rait croire ina­ni­més si une ten­sion pal­pa­ble et un léger mou­ve­ment ne venaient pas trahir ce sen­ti­ment. Avec ces formes anthro­po­mor­phes, l’artiste sou­haite ques­tion­ner les diver­ses condi­tions qui peu­vent alié­ner ou fra­gi­li­ser les corps. Des oura­gans aux révo­lu­tions, l’ins­ta­bi­lité et les jeux de domi­na­tion sont évoqués à tra­vers ces sculp­tu­res et leurs équilibres phy­si­ques pré­cai­res.

    Télecharger le dos­sier de presse


    Ser, sin serlo - par Camille Chenais


    Dans l’espace de la Villa Vassilieff, on peut ren­contrer une balan­çoire, des repré­sen­ta­tions de tem­pê­tes, une jambe, des têtes, des dou­bles têtes, de la pous­sière, un grand mor­ceau de tex­tile blanc, des grains de sable, un avant-bras, des images de corps flot­tant dans le ciel, des oloï­des, une pierre qui tombe, un tabou­ret à bas­cule, des mor­ceaux de verre brisés, Xipe Totec… On peut enten­dre des bruits sourds ou une ber­ceuse fre­don­née pen­dant une tem­pête. On peut suivre des yeux le balan­ce­ment d’un tabou­ret à bas­cule, l’oscil­la­tion d’une balan­çoire, l’ondoie­ment d’un vire­vol­tant oloïde. Leurs mou­ve­ments cycli­ques nous ber­cent. En entrant dans l’espace, nous n’entrons pas dans une expo­si­tion où les œuvres sont cir­cons­cri­tes à leurs socles ou sys­tè­mes de mons­tra­tion, nous entrons dans un envi­ron­ne­ment où le tra­vail de l’artiste se situe aussi bien dans les formes sculp­tées, les bruits dif­fu­sés, les mou­ve­ments créés, que dans les vides de l’expo­si­tion où se tis­sent les liens entre les pièces, où se crée l’expé­rience des visi­teur·eu­se·s. Une des pre­miè­res choses qui frappe, c’est l’équilibre pré­caire, pres­que irréel, dégagé par les pièces et leur mise en espace. Presque toutes sont en équilibre. En s’appro­chant de cer­tai­nes se créent une ten­sion, une impres­sion de danger, d’ins­ta­bi­lité. La notion d’équilibre – et son corol­laire, le désé­qui­li­bre – est récur­rente dans l’œuvre de Patricia Belli, elle tra­duit l’ins­ta­bi­lité de nos vies, le manque de contrôle que nous avons sur notre envi­ron­ne­ment et sur les événements poli­ti­ques, domes­ti­ques, inti­mes ou natu­rels qui nous affec­tent.

    Ser, sin serlo mêle des sculp­tu­res en céra­mi­que, des ins­tal­la­tions en bois, des pièces en métal, en verre et en tex­tile, avec des pein­tu­res, des pho­to­gra­phies, des vidéos et des pièces sono­res. Le tra­vail de Patricia Belli est en per­pé­tuelle évolution, elle passe d’une tech­ni­que à l’autre, d’une repré­sen­ta­tion à l’autre, avec une faci­lité et une inven­ti­vité déconcer­tan­tes. Par le biais d’assem­bla­ges hybri­des, elle crée un lan­gage plas­ti­que, poé­ti­que, énigmatique, par­fois déran­geant qui tra­duit des préoc­cu­pa­tions inti­mes et socia­les. Son œuvre se fonde sur sa sen­si­bi­lité visuelle et tac­tile ; dans son pro­ces­sus de tra­vail, l’explo­ra­tion des maté­riaux, de leurs sur­fa­ces, de leurs formes, de leur vul­né­ra­bi­lité, semble être sa bous­sole. « Avant tout, je suis une sculp­trice. Ma prin­ci­pale moti­va­tion est mon tra­vail de l’espace. Puis, au cours de mon pro­ces­sus créa­tif, d’autres idées et solu­tions émergent de mon tra­vail des maté­riaux. Mon point de départ est la manière dont ils fonc­tion­nent, qui génère ensuite une méta­phore qui, à son tour, se nour­rit de mes autres préoc­cu­pa­tions vita­les. Dans mon tra­vail, mon che­mi­ne­ment est nor­ma­le­ment fait ainsi. Je vois quel­que chose dans la rue, je vois quel­que chose dans mon ate­lier et je me dis "C’est la flexi­bi­lité !" ou "C’est de la vul­né­ra­bi­lité ! Je la vois !". Puis, je cla­ri­fie cette idée à tra­vers une forme encore davan­tage abré­gée. [1] » Son œuvre semble ainsi tou­jours émaner d’une obser­va­tion scru­pu­leuse de son envi­ron­ne­ment, du ciel aux cel­lu­les visi­bles au micro­scope en pas­sant par les rebuts oubliés dans les rues, ou même par ses rêves et images men­ta­les.

    Vue de l’exposition, "Ser,sin serlo". Image : Aurélien Mole

    Toutefois, le lan­gage de Patricia Belli n’est pas celui de la repré­sen­ta­tion, mais celui de la méta­phore. Elle ne tra­duit pas direc­te­ment ses expé­rien­ces sen­si­bles per­son­nel­les, mais ques­tionne, à partir de celles-ci, des thèmes com­muns comme la vie, la mort, la renais­sance, les sys­tè­mes de domi­na­tion, l’équilibre et le désé­qui­li­bre, la fra­gi­lité des corps, les rela­tions de pou­voir, de désir. Tout son tra­vail prend ainsi racine dans cet enche­vê­tre­ment de ses émotions, de ses pro­ces­sus inti­mes avec des sujets qui les trans­cen­dent. Elle le fait sans gran­di­lo­quence, avec sim­pli­cité, par­fois avec humour. Dans Sísifa (Sisyphe [2]), une main tente de porter des pier­res tout en che­mi­nant en équilibre avec deux doigts, sur une fine corde blan­che. À plu­sieurs repri­ses, la main cède sous le poids, perd l’équilibre, et fait tomber les pier­res dans des bruits sourds. Avec sub­ti­lité, ces images évoquent la charge men­tale de la mater­nité qui pèse sur le corps des femmes. En jouant sur l’ana­lo­gie ou les res­sem­blan­ces, les œuvres de Patricia Belli jouent le rôle de point de jonc­tion entre la sen­si­bi­lité per­son­nelle de l’artiste et l’expé­rience des visi­teur·eu­se·s. Inspirée par les théo­ries de Carl Gustav Jung sur l’incons­cient col­lec­tif, l’artiste tente de tra­duire ses expé­rien­ces per­son­nel­les dans des formes qui per­met­traient de ques­tion­ner la condi­tion humaine ainsi que le contrôle que nous exer­çons sur elle.

    Les pre­miè­res pièces que Patricia m’a mon­trées quand nous avons com­mencé à tra­vailler sur cette expo­si­tion au mois de mars der­nier, furent des sculp­tu­res en céra­mi­que, encore humi­des, repré­sen­tant un avant-bras et une jambe. Leur réa­lisme ana­to­mi­que appa­rent créa chez moi une pre­mière impres­sion de répul­sion. Elles me fai­saient penser à des mor­ceaux de corps arra­chés. Il y avait également une main qui s’était cassée en séchant. Immédiatement, les images de mains arra­chées par les gre­na­des de la police natio­nale fran­çaise pen­dant les mani­fes­ta­tions me vin­rent à l’esprit. Je lui deman­dai alors, si ces œuvres évoquaient pour elle les corps morts des mani­fes­tants nica­ra­guayens [3]. Elle me répon­dit que non. C’était plus subtil que cela. Si les vio­len­ces et la répres­sion du gou­ver­ne­ment de Daniel Ortega étaient bien pré­sen­tes à son esprit lorsqu’elle tra­vaillait sur ces pièces, ces der­niè­res n’en étaient pas des illus­tra­tions, bien au contraire. Ce qui inté­resse l’artiste n’est pas de faire une chro­ni­que docu­men­taire ou jour­na­lis­ti­que de ces événements, mais d’évoquer, à partir de cette expé­rience, les formes de domi­na­tion que subis­sent nos corps, leurs impacts, mais également la manière dont ils résis­tent et sub­ver­tis­sent ces contrain­tes et oppres­sions . Dans l’espace de l’expo­si­tion, ces corps frag­men­tés et dis­per­sés n’appa­rais­sent pas gisant sur le sol, mais sont placés dans des équilibres incer­tains évoquant le mou­ve­ment. Ces ana­to­mies dis­lo­quées dis­sol­vent les fron­tiè­res entre le vivant et l’inerte. Ils résis­tent. Ils gué­ris­sent de leurs bles­su­res. « Je suis impres­sion­née et atten­drie par la façon dont les humains essayent, et réus­sis­sent par­fois, à répa­rer des bles­su­res, leurs pro­pres bles­su­res, celles du corps, de l’âme et celles de leurs objets. [4] » Dans le tra­vail de Patricia Belli, le corps est donc à la fois un espace vul­né­ra­ble, fra­gile et intime et un espace de résis­tance, de pou­voir. Cette mul­ti­pli­cité sym­bo­li­que se tra­duit sou­vent par l’image du corps divisé, dis­persé, brisé, frag­menté. Cette dis­lo­ca­tion met en avant l’impos­si­ble repré­sen­ta­tion d’une iden­tité, d’une cor­po­ra­lité ou d’une sub­jec­ti­vité sous une forme arrê­tée et stable. « Il semble que Belli crée pour pou­voir ras­sem­bler tous les frag­ments de son être. [5] » écrit Miguel A. López lors de la pre­mière rétros­pec­tive consa­crée à l’artiste.

    Aux murs, des pein­tu­res pres­que abs­trai­tes repré­sen­tent le cœur de tem­pê­tes. Ces pièces sym­bo­li­sent la nature dans ce qu’elle a de plus vio­lent : sa force de des­truc­tion. En se mêlant aux repré­sen­ta­tions anthro­po­mor­phes qui peu­plent également l’espace, elles nous rap­pel­lent que malgré toutes nos aven­tu­res civi­li­sa­tri­ces, nous sommes insi­gni­fiant·e·s face à notre pla­nète et ses forces impré­vi­si­bles. Ailleurs deux têtes sem­blent dia­lo­guer, l’une est montée sur des petits pieds en bois flotté, l’autre est sou­te­nue par un sys­tème com­plexe de pou­lies et de cordes. Le visage de cette der­nière est recou­vert par ce qui semble être une seconde peau, évoquant cer­tai­nes repré­sen­ta­tions du dieu aztè­que Xipe Totec (« notre sei­gneur l’écorché » en nahuatl). Dans la mytho­lo­gie aztè­que, il est le dieu de la vie, de la mort, de la résur­rec­tion, de l’agri­culture, du renou­vel­le­ment de la nature, des pluies fer­ti­les et de l’orfè­vre­rie. Comme les grai­nes de maïs qui per­dent leur peau avant la ger­mi­na­tion, Xipe Totec s’écorche vif pour nour­rir l’huma­nité. Cette figure sym­bo­lise des idées qu’on devine à d’autres endroits de l’expo­si­tion : celles des cycles de la vie, du sacri­fice, de la nais­sance et de la renais­sance.

    Toute l’expo­si­tion oscille donc entre ces deux contrai­res, la renais­sance et la des­truc­tion. L’artiste ne choi­sit ni l’une, ni l’autre, mais invente des formes qui pren­nent sens à la fron­tière de ces oppo­si­tions binai­res. Toute la com­plexité des œuvres de Patricia Belli repose sur cet entre­cho­que­ment entre bon­heur et désillu­sion, angoisse et empa­thie, doute et joie. À deux repri­ses, nous croi­sons dans l’expo­si­tion des sculp­tu­res bicé­pha­les en céra­mi­que. Raices (Racines) est posée sur le sol, ses deux visa­ges pai­si­bles pres­que endor­mis. Ils sem­blent être ensem­ble depuis long­temps, des raci­nes se sont déve­lop­pées sur leurs crânes et semble ainsi les relier. Ils me font penser à des sculp­tu­res rui­nées de civi­li­sa­tions pas­sées, que nous retrou­vons par­fois, sur les­quel­les, la nature semble avoir repris ses droits. Les deux têtes de Pesadilla (Cauchemar), à l’inverse, sont habi­tées de sen­ti­ments oppo­sés : l’une semble saisie d’effroi, l’autre esquisse un sou­rire serein. Elles oscil­lent dou­ce­ment, au-dessus d’un pied à balan­cier. Ce motif de la double tête maté­ria­lise l’hybri­dité et la conflic­tua­lité de nos êtres, de nos corps. Nous sommes à la fois oppres­sé·e·s et oppres­seur·e·s, inno­cent·e·s et cou­pa­bles, mena­çant·e·s et mena­cé·e·s, bles­sé·e·s et puis­sant·e·s, cruel·­le·s et doux·­ces, nous-même et autre. Ser, sin serlo. Nous sommes sans être.

    C’est donc dans ce pay­sage hybride à l’équilibre pré­caire, que les visi­teur·­ri­ce·s doi­vent trou­ver leur place. Il·elle·s sont inci­té·e·s à s’asseoir sur un tabou­ret à bas­cule ou une balan­çoire dont les légers balan­ce­ments, inten­si­fiés par un son, les entraî­nent à ques­tion­ner leur propre sta­bi­lité ou ins­ta­bi­lité. Il·elle·s sont également invi­té·e·s à faire rouler une forme oloï­dale para­si­tée par un mélange d’entre­lacs et à dépla­cer des formes sur une table recou­verte de sable fai­sant ainsi appa­raî­tre le tracé de leur mou­ve­ment. Si, à pre­mière vue, ces actions peu­vent avoir l’air ludi­ques ou inno­cen­tes, l’artiste, par le biais de sons ampli­fiés qui se déclen­chent lors de la mise en mou­ve­ment des pièces, donne à ces actions une étrangeté qui dérange et ques­tionne.

    Notes

    [1] Juan Carlos Ampié & Patricia Belli
    « Nicaragua’s Patricia Belli : from Tragedy to Rejoicing », Confidencial, 11 avril 2017. Consulté le 29 août 2019. https:// confidencial.com.ni/nicaraguas-patricia- belli-from-tragedy-to-rejoicing/

    [2] Dans la mythologie grecque, Sisyphe est le fils d’Éole et d’Énarété et le fondateur mythique de Corinthe. Il est surtout connu pour son châtiment, reçu après avoir trompé Thanatos (le dieu de la mort) qui consistait à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet.

    [3] En 2018, des manifestations sont organisées par des étudiants à Managua pour protester contre des réformes du gouvernement de Daniel Ortega, président du Nicaragua. Dès lors, débute un régime de répression face à l’opposition au pouvoir en place. De nombreux affrontements éclatent. Aujourd’hui on estime qu’ils causèrent près de 325 morts et 2 000 blessés. La majorité des opposants ont été mis en prison tandis que le reste fut contraint de s’exiler dans les pays voisins.

    [4] Patricia Belli, « Relato » dans Velos y cicatrices, Managua, Epikentro Gallery, 1996, n.p.

    [5] Miguel A. López, « Fragile. Works by Patricia Belli, 1986-2015 », TEOR/éTica, 2016. Consulté le 29 août 2019. http://teoretica.org/portfolio/fragiles-obras-patricia-belli-1986-2015/

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